Le Pacte Dutreil : Une réalité fiscale méconnue

Alors que l’État cherche à combler un déficit de 40 milliards d’euros, un rapport explosif de la Cour des comptes révise à la hausse le coût du pacte Dutreil. L’heure du réexamen politique pourrait sonner.
 

Le pacte Dutreil, créé en 2003 pour faciliter la transmission d’entreprises familiales, s’apprête à faire son retour dans l’arène budgétaire. Ce dispositif fiscal permet aux dirigeants de transmettre leurs parts en bénéficiant d’une exonération de 75 % des droits de mutation, en échange d’un engagement de conservation des titres sur plusieurs années. Longtemps considéré comme une niche marginale, il pourrait en réalité coûter beaucoup plus cher que prévu.

Une explosion du coût estimé
Selon les informations recueillies auprès de plusieurs sources parlementaires et administratives, le rapport que prépare la Cour des comptes, attendu à l’automne 2025, réévalue fortement la dépense fiscale associée au pacte Dutreil. Alors qu’elle avait été estimée à 800 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2025, elle pourrait atteindre entre 4 et 5 milliards d’euros par an selon les calculs en cours. Une révision spectaculaire, qui repose sur une nouvelle méthodologie, développée en partenariat avec l’Institut des politiques publiques (IPP).
 

Ce rehaussement est lié à deux phénomènes. D’une part, la difficulté historique de mesurer avec précision le coût réel du dispositif, du fait de l’architecture du système d’information fiscal. Jusqu’ici, l’administration reconnaissait son incapacité à exploiter automatiquement les bases de données des actes notariés. D’autre part, la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024 a déclenché une vague d’anticipation législative. Redoutant une modification du cadre, de nombreux chefs d’entreprise ont accéléré la signature de pactes, parfois sur des montants patrimoniaux très élevés.

Le débat s’annonce intense
Cette nouvelle estimation tombe à un moment sensible. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, plusieurs parlementaires plaident pour une revue complète des dépenses fiscales dites "inefficaces" ou peu évaluées. Le pacte Dutreil, jusque-là protégé par son image de soutien aux PME familiales, pourrait en faire les frais. Le rapport de la Cour contiendra d’ailleurs une évaluation inédite des effets économiques du dispositif, comparant les trajectoires d’entreprises transmises sous pacte Dutreil avec celles ne l’ayant pas utilisé.
 

Pour les défenseurs du mécanisme, cette remise en question est jugée idéologique. Renaud Dutreil, l’ancien ministre à l’origine du texte, rappelait récemment que ce pacte vise à favoriser la stabilité de l’actionnariat familial, le maintien des emplois locaux et l’ancrage territorial des entreprises. À l’inverse, ses détracteurs y voient un outil de transmission patrimoniale inégalitaire, qui bénéficie à une minorité aisée sans garantie d’efficacité économique réelle.
 

Le débat technique s’annonce tout aussi vif. De nombreux fiscalistes interrogent la méthode employée par la Cour : comment évaluer un gain fiscal si l'on ne connaît pas avec certitude les droits qui auraient été dus sans le pacte ? Les experts de Bercy, eux même, pensent qu’il s’agit d’un « travail affreusement compliqué » du fait des limites des systèmes d’enregistrement.
 

L’enjeu dépasse le seul cadre budgétaire. Ce rapport pourrait servir de catalyseur à une réforme profonde, en modifiant les conditions d’éligibilité, la durée des engagements ou encore le niveau de l’exonération. Dans un climat où chaque milliard compte, le pacte Dutreil ne sera plus intouchable.